PARTIE II : ENTREPRENDRE AU SERVICE DES COMMUNS

Étape N° 01. Définir les communs d’un écolieu et reconnaître ceux qui les portent

01e Concept FAIRE SOCIÉTÉ ENTRE VOUS

Vous souhaitez créer ou rejoindre un écolieu en transition, source de revenus d’autonomie durable pour ses habitants, leurs associations, leurs entreprises, leurs collectivités, dans le respect des Humains et de la Nature ?

Pour se faire vous allez devoir faire société avec d’autres. Faire société cela veut dire que vous allez constituer une communauté politique qui va décider de ce qui est commun entre vous et de la façon dont vous allez le produire et en user. La commune est le lieu où l’on partage et use de ces communs.

Or, comment décider de ce qui est commun entre vous sans avoir préalablement décidé ce qui est vital pour chacun d’entre vous ? Quand je dis « chacun » je pense individu, pas couple ou famille ni mêmes amis.

Une fois décidé de ce qui est vital aujourd’hui pour vous, vous pourrez passer à ce qui est vital pour votre couple, votre famille, vos amis et enfin votre communauté de vie. Prenez en compte le fait que ce qui est vital pour soi aujourd’hui pourra être demain différent. Décider comment décider sera LA décision pour vous-même et votre écolieu. Pour les communs, ce sera l’unanimité ou au pire le consentement.

Nous souhaitons chacun faire société avec d’autres parce que nous pensons que faire société facilitera l’expérimentation du chemin de notre propre bonheur. Si nous voulons faire société dans des écolieux en transition, c’est parce qu’en plus nous souhaitons expérimenter le chemin de notre propre bonheur ensemble et dans le respect des humains et de la nature.

Ainsi, plus je serais clair sur les expériences que je veux vivre en société, plus j’aurai de la clarté dans le type de société que je veux constituer avec d’autres. Ces expériences peuvent se vivre soit au niveau personnel, soit au niveau collectif. Elles me sont inspirées par celles de mon passé, par celles que je projette dans un futur plus ou moins lointain ou bien par celles que je vis ici et maintenant. Selon mon ami et philosophe Patrick Viveret, je peux vivre une expérience de trois façons :

● Je suis en accord avec cette expérience. Elle m’est désirable.

● Je suis en désaccord avec cette expérience. Elle n’est pas désirable.

● Je ne sais pas encore. J’ai besoin de délibérer pour me positionner.

Constituer cette communauté politique veut donc dire : écrire ce sur quoi nous sommes d’accord, construire nos désaccords et formaliser ce qui reste en débat.

02e Concept DÉCIDER DE CE QUI COMPTE POUR VOUS

Imaginez un réalisateur qui aurait à filmer les expériences que vous voulez vivre en créant ou en rejoignant un écolieu en transition. Que lui donneriez-vous à voir, à entendre, à toucher, à goûter, à sentir ? Quelles expériences voulez-vous vivre ou pas ? Quelles sont celles qui ont besoin d’être précisées ? Priorisez-les, résumez-les en quelques phrases, puis confrontez-les avec celles et ceux avec qui vous voulez créer ou rejoindre un écolieu.

Après avoir clarifié par une série de questions ces expériences que vous êtes d’accord de vivre ensemble, priorisez-les, résumez-les en quelques phrases. Vous aurez alors formalisé une première version de votre raison d’être. Celle de votre écolieu en transition. Celles et ceux qui accepteront cette raison d’être constitueront votre communauté politique, vos premiers habitants-volontaires. Ils feront société ensemble parce qu’à la lecture de cette raison d’être ils se sentiront alignés entre ce qu’ils pensent et ce qu’ils sentent. Ce qu’ils pourront faire ou pas dans cet écolieu sera clair pour eux. Reste à traiter ce sur quoi vous n’êtes pas d’accord. Il y a trois possibilités :

● Vous consentez à vivre avec ceux qui ont des activités en désaccord avec vous (ex. : manger de la viande dans les repas communs…)

● Vous y consentez, mais pas dans le cadre de votre écolieu (ex. : manger de la viande OK, mais chez soi, pas dans les repas communs)

● Vous n’êtes pas d’accord pour vivre avec ceux qui ont ces activités (ex. : pas de viande ni chez soi ni dans les repas communs)

Dans le dernier cas, certains membres du groupe ne pourront pas faire société entre vous et de fait seront exclus. Cela n’est pas un échec. Il vaut mieux un bon désaccord construit qu’un accord flou et « mou ». J’ai accompagné des groupes, dont ces « faux » accords, on finit par les faire exploser avec des conséquences bien plus désagréables que ce qu’elles auraient été s’il y avait eu des désaccords construits. Pour ce qui reste, qui n’est ni en accord ni en désaccord, continuer à clarifier jusqu’à que ces sujets fassent l’objet d’un accord ou d’un désaccord entre vous. Ne vous formalisez pas si cela reste en débat. Vous n’êtes pas encore mûr, acceptez de le recenser et voir cela plus tard.

À ce stade, sachez reconnaître les zones sur lequelles il reste encore à discuter. Programmez-vous des discussions pour faire basculer ce qui restait en débat dans l’une des deux autres catégories : Accords ou Désaccords.

Prenez alors de nouvelles décisions en fonction de la réactualisation de votre raison d’être. Elle doit rester évolutive en fonction des membres de votre communauté et du contexte dans lequel vous évoluez ici et maintenant.

3e Concept VALORISER L’UTILITÉ COMMUNE DE VOS HABITANTS-VOLONTAIRES

Une fois vos nouveaux habitants-volontaires clairs sur ce qui fait société en entre eux ; c’est-à-dire leurs communs, il sera important que vous listiez et priorisiez leurs activités au sein de votre écolieu par rapport à ces communs. Vous pouvez vous aider de la méthode IKIGAI en déterminant pour chacun d’entre eux :

1. Celles qu’ils aiment faire,

2. Celles pour lesquelles ils ont du talent

3. Celles pour lesquelles ils exigent une contrepartie

4. Celles qui contribuent ou détruisent leurs communs

Vous aurez ainsi listé et priorisé toutes ces activités d’un point de vue des habitants-volontaires. Il sera alors vital de les lister et de les prioriser d’un point de vue de leur utilité commune, c’est-à-dire en quoi chacune d’elles préserve, renouvelle voire développe ou détruit les communs.

En effet, les ressources accessibles sur votre territoire de vie ne sont pas illimitées et il va bien falloir optimiser leurs usages au mieux de l’intérêt des Humains et de la Nature. Nous reviendrons plus tard sur ce que sont ces ressources. Les habitants-volontaires reprendront donc cette liste de leurs activités et les reclasseront, pour ici et maintenant, par ordre d’utilité commune. Ils le feront selon un principe simple :

« Les activités qui concourent le plus à ce que les autres soient possibles ».

Cette priorisation donnera lieu ensuite à une répartition plus équitable des ressources disponibles en fonction de leur place dans cette échelle de l’utilité commune. Cette échelle, comme la définition des communs, ne pourra se faire qu’à l’unanimité ou au consentement de tous les habitants-volontaires.

Elle pourra bien sûr être remise en cause, comme les communs eux-mêmes lors de l’intégration de nouveaux habitants-volontaires ou si un habitant-volontaire souhaite la voir modifiée. Une période pourra être allouée à sa remise en cause afin d’assurer un minimum de pérennité aux efforts engagés pour préserver, renouveler ou étendre ces communs.

Attention ce n’est pas parce que vous avez précisé ce qui est d’utilité commune aujourd’hui pour votre communauté que les habitants-volontaires qui ne portent pas ou plus ce type d’activités ne valent rien.

La valeur de chaque vie ne se résume pas à sa seule utilité commune heureusement. Collectivement vous devrez garantir par une production collective un revenu d’autonomie pour chaque habitant qui sera indépendant de son utilité commune.

4e Concept ORIENTER LES DISTINCTIONS SOCIALES VERS DE L’UTILITÉ COMMUNE

Maintenant vos habitants-volontaires font société autour de communs qu’ils ont choisis. Par exemple la terre, l’eau, l’air, l’énergie, la santé… Ils sont aussi prêts à garantir la production de ces communs via des activités priorisées pour leur utilité commune (ex. : Le maraîchage).

Pour mesurer en temps réel cette utilité commune, ils auront besoin de distinctions sociales. Aujourd’hui c’est la monnaie, dans notre zone monétaire l’Euro, qui devrait jouer ce rôle.

Normalement, chaque citoyen devrait pouvoir utiliser ses euros pour « voter » pour ceux qui satisfont ses besoins dans la mesure où leurs modes de production sont respectueux des humains et de la nature. Ainsi, ceux qui accumulent le plus d’euros devraient être ceux qui ont les activités avec le plus d’utilité commune. Ce n’est bien sûr pas le cas aujourd’hui avec l’euro, le dollar, le yen ou n’importe quelle autre monnaie. Pire, ceux qui ont le plus d’euros peuvent être ceux qui détruisent nos communs ou en confisquent l’usage aux autres et ceux qui en ont le moins ceux qui servent nos communs.

C’est pour cela que les habitants-volontaires de votre écolieu ne pourront pas utiliser que de l’euro pour valoriser en monnaie ce qui compte pour eux. Il leur faudra convertir des euros en Monnaie Citoyenne Locale (MCL) afin d’utiliser un moyen d’échange qui comptera vraiment ce qui a de la valeur pour eux. Seule la MCL transformera vos euros en bulletin de vote. Une fois convertis en MCL, vos euros ne remonteront plus sur les marchés financiers ni ne pourront distinguer socialement une activité qui n’aura pas été agréée pour son respect des humains et de la nature.

De plus, les euros qui serviront de garantie à la circulation de cette MCL pourront s’investir dans les activités locales. Ils favoriseront la revitalisation de ce territoire de vie indispensable au développement de votre écolieu.

Avec toutes les parties prenantes de votre territoire de vie, vous pourrez ainsi décider dans quelles conditions elle pourra circuler et quels acteurs économiques pourront l’utiliser. Enfin vous déciderez sous quelles conditions elle sera émise. Et nous allons voir que cela n’est pas anodin pour entreprendre durablement au service des communs.

L’organisation qui aura en charge la gestion de cette monnaie citoyenne sur votre territoire sera une véritable banque centrale relocalisée dont les deux missions principales seront :

Investir dans la production si l’offre est inférieure à la demande ou bien augmenter le nombre et le volume des revenus d’autonomie si la demande est supérieure à l’offre dans le respect des humains et de la nature. 

5e Concept GARANTIR L’INCONDITIONNALITÉ DE LA VIE DANS LES CINQ DIRECTIONS

Pour assurer le développement durable de votre territoire de vie et la cohésion sociale de vos habitants-volontaires, votre modèle économique et financier devra maîtriser cinq directions :

● Relocaliser la production vitale aux habitants de votre territoire de vie avec des modes de production respectueux des humains et de la nature. Seuls moyens pour ne pas dépendre de multinationales sur lesquelles vous n’êtes pas cause. Mais ce ne sera pas suffisant.

● Favoriser la création de circuits courts de distribution, voire très très courts. Chaque maison doit produire l’eau potable, l’électricité, la chaleur, voire une partie de l’alimentation de ses habitants. C’est le seul moyen pour ne pas voir la valeur ajoutée créée par vos producteurs fuir dans les grands réseaux de distribution. Mais cela ne suffira pas.

● Organiser les échanges dans ces circuits courts en MCL. Stocker les euros garantissant cette MCL en circulation sur des comptes bancaires éthiques. Seuls moyens pour ne pas voir fuir sur les marchés financiers la trésorerie et l’épargne gagnée par vos acteurs locaux. Mais ce ne sera pas suffisant.

● Car tout cela n’aura servi à rien si les revenus des acteurs locaux varient de façon démesurée à la baisse. Ils ont besoin d’un revenu d’autonomie suffisant pour avoir accès à la production vendue par les entreprises et les collectivités du territoire. Ainsi, la production vitale aux habitants ne pourra circuler que si un revenu de base inconditionnel assure à chacun, en MCL, ses transactions minimales. Ce revenu d’autonomie sera versé à toutes et à tous à égalité, tout au long de leur vie. Mais ce ne sera pas suffisant.

● Si vous voulez produire, distribuer et échanger ce qui est vital aux habitants-volontaires, si vous souhaitez leur verser un revenu d’autonomie suffisant pour accéder à ces productions, il faudra que les lois qui cadrent ce qui est légitime sur votre territoire le facilitent et non le freinent voire pire l’en empêchent. Voilà pourquoi vous devrez aussi maîtriser la gouvernance de votre écolieu et de son territoire de vie en embarquant avec vous toutes les parties prenantes qui influencent d’une manière ou d’une autre la loi.

Vous êtes, nous ne sommes pas seuls à le vouloir. Alors que plus d’une commune rurale en France sur trois se meurt, plus d’un français sur deux souhaite venir s’y installer avec sa famille s’il y retrouve les services dont il a besoin.